L'AFFAIRE DES POISONS

De 1675 à 1680, la Cour du roi Soleil est parcourue par d'inquiétantes rumeurs qui concernent toute l'affaire des poisons. Derrière de nombreux aristocrates qui ont eu recours à ses services se profile le personnage diabolique de La Voisin, aventurière spécialisée dans les philtres toxiques et "bouillons de onze heure...". A l'orée des Lumières, la France est encore hantée par la sorcellerie et la magie noire.

L'arrestation le 25 mars 1675, dans un couvent de Liège alors occupé par l'armée française, d'une certaine marquise de Brinvilliers marque le début de la fameuse affaire des poisons. Recherchée plus ou moins ardemment depuis trois ans, la marquise a été trahie par des documents compromettants détenus par son amant, l'officier Godin de Sainte-Croix. À sa mort en 1672, la police s'était emparé des biens et effets du jeune homme, poursuivi pour dettes. Parmi ceux ci, une cassette renferme les preuves écrites de sa main des amours de la marquise mais aussi des courriers révélant les manigances du couple. Avec l'aide d'un poison efficace, les amants ont mis fin aux jours du père et des deux frères de madame de Brinvilliers afin d'accélérer la succession. Le marquis de Brinvilliers, soupçonnant sa femme, échappe lui à la mort grâce aux multiples précautions prises. Plusieurs fioles, renfermant une décoction à base d'arsenic, sont également découvertes : une préparation qui deviendra bientôt célèbre sous le nom de " poudre de succession ".

S'appuyant sur cette série de pièces à conviction, le lieutenant de police La Reynie, en place depuis 1667, mène une enquête exemplaire. Les milieux les plus différents sont bientôt compromis, à commencer par la noblesse de cour. En effet, la marquise de Brinvilliers, née Marie-Madeleine d'Aubray, est la fille d'un conseiller d'État. La liste des empoisonneurs s'allonge par ailleurs rapidement et implique plusieurs proches de Louis XIV : les deux nièces de Mazarin, la comtesse de Soissons et la duchesse de Bouillon ; le maréchal de Luxembourg ; les comtesses de Polignac et de Gramont le dramaturge Racine. Madame de Brinvilliers, malgré les pièces manuscrites qui l'accablent, n'avoue ses crimes que quelques jours avant son exécution en 1676. Il n'est pas impossible non plus que certains suspects aient gonflé aveux et dénonciations dans l'espoir d'une réduction de leur peine. Mais le scandale est immense et passionne l'opinion publique, surtout à Paris, l'on suit avec assiduité les comptes-rendus du procès ouvert devant la grande chambre du Parlement. Face à l'ampleur de l'instruction, une chambre spéciale est constituée qui prononce trente-quatre condamnations à mort entre 1679 et 1682.

 

La Voisin

La principale inculpée, de son vrai nom : Catherine Deshayes, épouse Monvoisin et surnommée La Voisin, est une aventurière née en 1640. C'est cette femme ronde et joufflue qui fournit les préparations toxiques destinées à évincer un ou une concurrente, ou à se débarrasser d'une parenté encombrante qui bloque l'accès à un héritage convoité. Ces méfaits ne se résument pas seulement à la distribution de poison : la sorcellerie est son domaine et l'usage des sortilèges d'amour ou de haine son autre fonds de commerce. Si la " poudre de succession " est fabriquée avec de la bave de crapaud, substance magique dont les vertus sont réputées, les messes noires et autres rituels font aussi partie de sa palette d'intervention. Madame de Montespan, ancienne favorite du roi, fait pratique des rites particuliers sur son corps dénudé afin de conserver les sentiments du souverain à son égard, contre sa jeune rivale madame de Fontanges.

Outre les personnalités en vue, toute la France, du moins les milieux qui ont les moyens d'y recourir, s'adonne à la magie noire et aux médecines obscures. Les avortements, pratique illégale à l'époque, mais qui évite la manifestation trop visible d'un adultère, sont souvent l'œuvre de sorcières rétribuées. À l'orée du siècle des Lumières et malgré le poids de l'interdiction religieuse, le pays voit donc fleurir de nouveau des coutumes archaïques qui le rattachent aux alchimistes médiévaux par l'entremise des mages italiens venus avec Catherine de Médicis durant la Renaissance. La mort de La Voisin, brûlée vive en place de Grève en 1680, pas plus que l'application des sentences prononcées, ne suffisent à arrêter l'affaire car le roi laisse agir la police contre une noblesse trop gênante.

 

L'intervention du Roi

Sous l'empire de la torture, les coupables désignent de nouveaux suspects à leur tour soumis à la question judiciaire. Mais lorsque madame de Montespan, son ancienne maîtresse, est mise en cause, Louis XIV comprend que le trône lui-même risque d'être éclaboussé. Il " conseille " alors aux magistrats de mettre un terme aux poursuites engagées et d'étouffer l'affaire la chambre spéciale cesse de se réunir. Paris, en tout cas, se sera délecté pendant sept ans des affres des grands et des petits, et des rebondissements colportés par le bouche à oreille. Les appétits de fortune d'une noblesse rouée et meurtrière auront été exposés au grand jour au côté des intrigues les plus scabreuses alors que le règne du roi Soleil est à son apogée.

 

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